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« Au grand soleil d'amour chargé »

Ramón Vargas

L’un des plus grands ténors du monde revient à Toulouse, pour un récital exceptionnel où l’on espère la rencontre de l’opéra, dont il est l’un des rois, et des mélodies mexicaines, qu’il sait servir comme personne.

La discrétion ne constitue pas la qualité première associée aux ténors du répertoire romantique. L’or de Roberto Alagna, l’airain de Jonas Kaufmann, le diamant de Juan-Diego Florez sont magnifiés par leur rayonnement physique et leur charisme auprès des médias. Ramón Vargas, considéré comme leur égal par les grands théâtres et les mélomanes du monde entier, et sans doute le plus authentique héritier de Pavarotti pour le répertoire et la technique vocale, n’a pas attiré la même attention hors de la sphère lyrique – et ne l’a peut-être pas recherchée.

Mexicain de naissance, il affiche dès ses débuts cette tessiture haute, cette sonorité lumineuse et naturellement placée dans le masque, caractéristiques des voix issues du métissage amérindien. Enfant, il est membre de la Maîtrise de la Basilique de Notre-Dame de Guadalupe, sanctuaire le plus révéré du pays, où il acquiert son impeccable discipline musicale. Leo Müller à Vienne, Rodolfo Celletti à Milan, apporteront au jeune vainqueur du Concours Caruso, en 1986, les secrets d’un passage naturel vers le médium, et d’une virtuosité qui n’oublie ni les nuances, ni la souplesse de l’émission. L’équilibre des registres, l’agilité intégrée à la continuité du souffle et du phrasé sont d’emblée les signatures de ce chant, qui se révèle dès 1993 au public de la Scala dans la légendaire production signée Giorgio Strehler pour le centenaire du Falstaff verdien, sous la baguette de Riccardo Muti, mais s’épanouit tout au long de la décennie qui suit dans les rôles brillants et tendres de Rossini et Donizetti.

Très vite cependant, cette large palette vocale et technique ouvre à Ramón Vargas les portes d’un répertoire plus lyrique, et davantage fondé sur le texte. Qui eut la chance de le voir en scène dans le merveilleux livre d’images de La Bohème dessiné par Zeffirelli (où il est heureusement capté en vidéo par le Metroplitan Opera de New York en 2008, donnant la réplique à une Angela Gheorghiu qui ne parut jamais si spontanée en Mimì), ne pourra oublier le frémissement, l’émotion de chaque mot, chaque accent, ni la projection d’un son qui emplit les plus vastes salles sans jamais chercher l’épate et tourner au cabotinage. Le public du Capitole, pour ses débuts toulousains en 2021 dans La Gioconda, a également éprouvé ce frisson, générant un triomphe libératoire dans le déferlement des acclamations. La maturité a guidé l’artiste vers des emplois de plus en plus dramatiques, mais il n’a rien perdu de son élégance, ni de son scrupule musical. Les rôles français, Don Carlos, Faust chez Berlioz et Gounod, Werther, Des Grieux ou Hoffmann l’attestent. Ce qui ne l’empêche pas de renouer avec la vocalise dans Idomeneo – qui est aussi la seule figure mozartienne que Pavarotti conservait à son répertoire au faîte de sa gloire.

Un drame intime a contribué à nourrir cette profondeur et cette générosité – il est permis de l’évoquer, puisque le ténor n’a pas souhaité le garder pour lui, et mis au service des autres sa propre expérience douloureuse. Parent de trois garçons, Ramón et son épouse Amalia perdirent l’un d’entre eux, Eduardo, à l’âge de six ans – une erreur médicale avait laissé l’enfant gravement handicapé dès sa naissance. La fondation Ramón Vargas, qui bénéficie de la générosité de nombreux donateurs, mais aussi des fréquents récitals que le chanteur donne à son profit, est aujourd’hui un acteur important dans l’accompagnement des familles confrontées au handicap d’un enfant dans les quartiers défavorisés de son Mexique natal. Un pays qui n’a jamais quitté le cœur de l’artiste, même si les besoins de sa carrière l’ont conduit à s’installer à Vienne il y a trente-cinq ans. En témoignent ces chansons mexicaines qu’il adore offrir en concert à côté des airs d’opéra italien, et représentent la seule concession qu’il s’est autorisée à la musique populaire, conscient de pouvoir leur rendre justice comme nul autre. Un univers ensoleillé, qui refuse de se lamenter sur la dureté de l’existence, mais tutoie les ombres de la mort en les colorant de la jubilation de la fête et de la délicatesse des sentiments. Comme Ramón Vargas.

 

Propos recueillis par Vincent Agrech pour le Vivace n°14

Découvrez le Vivace n°14 en intégralité

 

Retrouvez Ramón Vargas pour un récital au Théâtre du Capitole le lundi 14 novembre à 20H

 

Crédit photo

Ramón Vargas © Lou Valérie Dubuis

Ramón Vargas (Enzo) dans La Gioconda de Ponchielli, mise en scène Olivier Py, Théâtre du Capitole, 2021. © Mirco Magliocca