Actualités

La musique et les mots

Entretien avec Stéphane Degout

Stéphane Degout est l’un de nos plus grands chanteurs français d’aujourd’hui, portant très haut la tradition d’un phrasé impeccable, d’un art accompli de la déclamation et d’un timbre d’une extrême noblesse. La prise de rôle de ce formidable acteur dans le Wozzeck de Berg la saison dernière au Capitole est apparue à tous comme un événement majeur. Souverain également dans le répertoire exigeant du lied et de la mélodie, le baryton, aux côtés du pianiste Tanguy de Williencourt, a choisi un programme franco-allemand d’un merveilleux équilibre.

 

 

Comment avez-vous conçu le programme de votre récital au Capitole ?

Un programme de récital est la chose la plus facile à faire, et aussi la plus difficile ! D’abord des envies, des lignes dans un répertoire que j’ai envie d’aborder, de nouvelles choses, des mélodies que je chante depuis longtemps et que j’ai envie de retrouver quelques années plus tard. Ces choix répondent aussi à des demandes particulières des théâtres dans lesquels nous allons donner ce programme. C’est toujours excitant d’écouter, de réfléchir, de lire, de se demander ce qui irait bien ensemble, dans quel ordre, quelles langues, etc. Pour ce programme au Capitole, Schubert vient naturellement dans la continuité de programmes que je viens de chanter (Mein Traum avec Pygmalion et Raphaël Pichon) et d’un autre programme de récital que je donnerai avec Alain Planès, Le Chant du cygne, avec d’autres lieder pour étoffer le programme. J’ai très peu chanté Schubert, sentant qu’il fallait une sorte de maturité pour l’aborder. Les Mirages de Fauré, un petit cycle que j’aime beaucoup et que je voulais chanter depuis longtemps ; et d’autres anciens compagnons, Ravel, Debussy et Berg, en écho au Wozzeck de l’an passé au Capitole.

Le lied allemand et la mélodie française requièrent-ils des approches distinctes ? Quelles sont leurs exigences spécifiques ?

J’ai peur, en répondant à cette question, d’enfoncer des portes ouvertes… Je dirais que tout doit se chanter de la même façon, techniquement en tout cas ; la langue d’abord, et la poésie ensuite et la musique enfin, vont guider l’interprétation. Les questions de style, de tradition, comment chantaient les anciens ou chantent encore mes collègues, cela m’importe assez peu finalement. Il s’agit toujours d’essayer d’être simple, voire neutre, pour laisser la musique et les mots s’installer, l’auditeur devant également faire son propre travail d’interprétation.

Comment vivez-vous votre double carrière de chanteur d’opéra et de récitaliste, deux expériences sans doute très différentes ?

Deux expériences, deux aspects de ma carrière qui se complètent totalement, et ce, depuis le début même de mes études. Je n’ai jamais pu penser l’un sans l’autre. On trouve beaucoup d’écho entre ces deux répertoires. Il serait assez réducteur de les enfermer dans leurs caractéristiques propres ; tant de mélodies demandent des moyens opératiques et tant d’airs d’opéra requièrent des couleurs et des pianissimi propres au récital avec piano ! Pour ma part, j’essaie de créer un lien entre ces deux exercices dans mes saisons : l’an dernier, pour aborder le rôle de Wozzeck, j’ai constitué un programme autour de Berg et de l’année 1925. La variété des œuvres était immense, mais j’avais besoin d’en passer par là. Pour les années qui viennent, certaines prises de rôle vont aussi amener des œuvres nouvelles au récital. L’un éclaire l’autre.


Vous êtes de plus en plus engagé dans l’enseignement et la transmission. Pourriez-vous nous parler de cette expérience et de l’importance que vous y attachez ?

Ce n’est pas arrivé par hasard. 2018 marquait plusieurs anniversaires : les 20 ans de l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence, où j’ai fait mes débuts, les 70 ans du festival, les 20 ans de ma carrière. C’est assez naturellement qu’Émilie Delorme, alors directrice de l’Académie, m’a demandé de passer de l’autre côté et de venir enseigner cet été-là. C’était tout aussi naturel de concentrer mon travail sur la mélodie française, dont je ne me suis jamais éloigné. Puis le même été, Royaumont, où j’ai très souvent étudié tout au long de ces vingt années de carrière, m’appelait naturellement. C’était aussi une façon de prendre le relais de Ruben Lifschitz, mon mentor, décédé en 2016. Je me suis rendu compte que cet exercice, d’abord fastidieux et même fatigant parfois, m’obligeait à me recentrer sur ce répertoire que je ne connaissais que du côté du chanteur : devoir en parler, devoir guider quelqu’un qui passe par les mêmes difficultés que j’ai connues, est vite devenu passionnant. Je n’ai jamais considéré que j’enseignais quelque chose, mais plutôt que ces séances de travail étaient un échange, sur une difficulté, sur une façon de comprendre un texte, de le chanter, un imaginaire. C’est très riche.

 

Propos recueillis par Dorian Astor pour le Vivace n°15

 

________________________________________________________________________

Stéphane Degout en récital

Lundi 20 mars à 20h
au Théâtre du Capitole

En savoir +

________________________________________________________________________

 

Crédits photos :

► Stéphane Degout © Jean-Baptiste Millot
► Stéphane Degout dans le rôle-titre de Wozzeck d’Alban Berg, mise en scène Michel Fau, Opéra national du Capitole, 2021. © Mirco Magliocca