Pendant longtemps, tout ce que l'on pouvait apprendre, dans des encyclopédies de référence, sur Minkus, musicien qui comptait tout de même parmi les compositeurs de musiques de ballet les plus joués au 19° siècle, se limitait à des informations plutôt maigres, vagues et surtout contradictoires.
Si les différentes orthographes de son patronyme -Minkus, Minkous ou Mincous- présentent une certaine cohérence ; pour le prénom par contre, les divergences sont totales. Selon un de ses plus récents biographes, le Britannique Robert Ignatius Letellier, de l'Université de Cambridge : « les nombreuses variantes de son prénom peuvent s'expliquer, d'une part, par la désinvolture apportée alors à l'écriture des noms propres et, d'autre part, par l'adaptation de son prénom aux divers endroits où il a séjourné. »
Son nom de baptême, Aloysius, a été germanisé en Alois, puis familiarisé en Lois et francisé à son tour en Louis. En Russie, son prénom a été germanisé en Ludwig auquel on a ajouté le nom de baptême de son père, Theodor, russifié en Feodorevich (fils de Theodor), ce qui donne Ludwig Feodorevich Minkus. Ensuite, selon le lieu de publication de ses partitions ou de représentation de ses œuvres, il peut être connu sous les prénoms de Léon, Luigi.... L'on sait, en revanche, que les programmes de concerts qu'il a signés et que l'on a retrouvés portent tous la signature d'Alois Minkus. Durant son séjour en Russie, ses documents officiels comme ses contrats sont tous au nom de Ludwig Feodorevich Minkus. Plus tard, il signera parfois Louis Minkus.
Premières années
S'il faut en croire les récentes recherches du Dr. Letellier, il semblerait que le compositeur soit né Aloysius Bernhard Philipp Minkus, le 23 mars 1826 à Vienne.
Son père, Theodor Johann Minkus, est né en 1795 à Groß Meseritsch (aujourd'hui Velké Meziřící, près de Brno, Moravie, République tchèque) et sa mère, Maria Franziska Heimann, en 1807 à Pest, Hongrie. Tous deux sont donc des sujets de l'Empire austro-hongrois des Habsbourg.
Ses parents s'installent à Vienne et, le jour même de leur arrivée, se convertissent à la foi catholique (ils étaient de culte judaïque). Le jour suivant, ils se marient à l'église. La motivation de leur conversion n'est pas connue. Cependant, nous savons qu'alors, c'est le seul moyen de garantir un foyer stable dans la Vienne des Habsbourg.
Minkus grandit dans un environnement musical ; son père, négociant en vins, ayant ouvert un restaurant doté d'un petit orchestre. A partir de ses quatre ans, il reçoit des cours particuliers de violon et, bien avant de commencer ses études au Conservatoire de la Société des Amis de la Musique de Vienne (de 1838 à 1842), il s'est déjà produit dans de nombreuses salles de concert en qualité de violoniste prodige.
Au milieu des années 1840, il compose de la musique de danse légère, peut-être pour la Tanzkapelle de son père, l'un des nombreux orchestres de ce genre, si omniprésents dans la capitale des Habsbourg. Il aurait même dirigé un des orchestres qui rivalisait avec celui de Johann Strauss fils.
Les dix années entre 1842 et 1852 sont mal documentées. On sait toutefois qu'il a fait établir, à diverses reprises, des demandes d'obtention de documents de voyage pour l'Allemagne, la France et l'Angleterre.
En 1846, il publie cinq pièces pour violon. Dans le journal viennois Der Humorist (18 octobre 1845), on peut lire qu'un certain Louis Minkus a été révélé comme l'un des violonistes les plus talentueux de la jeune génération, combinant « un style conservateur à une interprétation scintillante ».
En 1852, Minkus est invité à occuper le poste de violon solo dans l'orchestre de l'Opéra de Vienne. Mais il en démissionne très vite pour partir en Russie.
Une vie en Russie
En 1853, il arrive à Saint-Pétersbourg pour diriger l'orchestre du prince Nikolaï Borissovitch Youssoupoff. Deux ans plus tard, il épouse une de ses compatriotes, la Viennoise Maria Antoinette Schwarz.
Sa réputation d'instrumentiste le conduit à rejoindre l'orchestre de l'Opéra italien du Bolchoï de Saint-Pétersbourg (aujourd'hui Mikhaïlovski) en qualité de directeur, soliste et compositeur.
Sa carrière de compositeur de musiques de ballet semble avoir commencé en 1857 avec L'Union de Pélée et Thétis. En 1862, il compose un entr'acte pour le ballet Orfa d'Adolphe Adam (Paris, 1852) pour le Bolchoï de Moscou. Toujours pour ce théâtre, il fait des arrangements pour les ballets Deux Jours à Venise (1862) et Pygmalion (1863). Les quelques œuvres non chorégraphiques qu'il compose le sont toutes pour son instrument de prédilection, le violon : Douze Études pour violon solo, Chant d'été et Romance sans paroles pour violon avec accompagnement de piano.
Quant à sa réputation de concertiste, elle ne cesse de croître. En février 1863, un critique du Moscow Herald évoque son jeu « très précis. La main gauche et les coups d'archet sont magnifiquement travaillés. Il joue toujours avec un calme classique, sans la gymnastique et les ruses qui ont la faveur de la plupart des jeunes violonistes. »
En 1861, Minkus reprend le poste de chef d'orchestre / maître de concert du Bolchoï de Moscou. À partir de 1864, il remplit deux autres postes à Moscou, professeur de violon au tout nouveau Conservatoire et inspecteur des orchestres du Théâtre impérial.
Il est également nommé compositeur de ballet au Bolchoï de Moscou, avec la responsabilité de composer la musique d'accompagnement pour l'opéra et les productions dramatiques.
Son premier ballet, La Flamme de l'Amour ou la Salamandre, également connu sous le titre de Fiammetta, est créé le 13 février 1864 au Bolchoï de Moscou, sur une chorégraphie d'Arthur Saint-Léon, le maître de ballet le plus important de cette époque, en Russie comme à Paris.
Réduit à deux actes et rebaptisé Néméa ou l'Amour vengé, la première de ce ballet, sur un scénario de Henri Meilhac et Ludovic Halévy, a lieu le 11 juillet 1864 à l'Opéra de Paris. Ce ballet reçoit une troisième transformation pour le Teatro Communale de Trieste où il est donné le 15 mars 1868, sous le titre de Fiamma d'amore.
Lorsque peu après Néméa, l'Opéra de Paris passe commande à Saint-Léon d'un nouveau ballet, il fait en sorte que Minkus y contribue -du moins en partie, puisque ce dernier compose l'acte I et la scène 2 de l'acte III de La Source, tandis que l'on confie l'acte II et la scène 1 de l'acte III au jeune et encore totalement inconnu Léo Delibes. Pour ce dernier, la création de l'œuvre, le 12 novembre 1866, signifie le début triomphal de sa carrière de compositeur de ballet alors que la contribution de Minkus à la partition est jugée sensiblement plus faible. Cela n'empêche pas Saint-Léon de s'associer le concours de Minkus sur d'autres ballets : en 1867, Poisson d'or d'après un conte de Pouchkine et en 1869, Le Lys ; tous deux créés au Mariinski de Saint-Pétersbourg.
Après Arthur Saint-Léon, se profile dans la Russie de la fin des années 1860 un chorégraphe qui marquera comme aucun autre l'histoire de la danse : Marius Petipa, né en 1818 à Marseille. Après une brillante carrière de premier soliste dans la troupe du Mariinski, Petipa entreprend vers 1860 ses premières tentatives de chorégraphe et, deux ans plus tard, présente son premier ballet au Théâtre Marie -sur une musique de Cesare Pugni- La Fille du Pharaon d'après le roman de Théophile Gautier, Le Roman de la Momie. Pour ses débuts au Bolchoï de Moscou, Petipa s'associe en 1869 Ludwig Minkus pour la musique. Ainsi naît Don Quichotte, dont la création ovationnée le 14 décembre 1869 devient non seulement un repère dans l'histoire de la danse russe mais constitue aussi le début d'une collaboration fertile et sans nuages, qui lie Minkus et Petipa pendant plus de vingt ans.
Le succès sans précédent de Don Quichotte doit avoir fortement contribué à sa nomination au poste de Premier Compositeur de musiques de ballets auprès des Théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg, après la mort de Cesare Pugni, le 26 janvier 1870. Il occupera ce poste jusqu'en 1885. Il est également chargé de la bibliothèque et des instruments de musique du Bolchoï.
A partir de 1871, le Mariinski donne sans discontinuer des ballets de Minkus, tous sur des chorégraphies de Petipa : en 1871 Deux Étoiles et une nouvelle version de Don Quichotte, en 1872 Camargo, en 1874 Le Papillon et La Naïade et le Pêcheur, en 1875 Les Brigands, en 1876 Les Aventures de Pélée et Le Songe d'une Nuit d'été, en 1877 La Bayadère, en 1878 Roxana, la Belle du Monténégro, en 1879 Frizak le Barbier, Snegurotchka (La Fille des Neiges) et Mlada, en 1881 Paquita, -nouvelle version par Petipa du ballet de Deldevez et Mazilier auquel avait d'ailleurs participé Minkus à Paris en 1846-, et Zoraya ou la Mauresque en Espagne, en 1883 Nuit et Jour, en 1886 Les Pilules magiques et L'Offrande à l'Amour...
Même après avoir quitté ses charges officielles, en 1891, et s'être retiré à Vienne, Minkus reste l'un des compositeurs de ballet les plus appréciés et les plus joués de Saint-Pétersbourg.
C'est à Vienne qu'il se serait éteint de pneumonie le 7 décembre 1917, à l'âge de 91 ans, si l'on considère comme date de naissance, 1826. Mais, d'aucuns citent Moscou, ou encore Berlin comme ville de son décès.
Carole Teulet